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Zone Critique

CEO Hạnh David
Une plongée dans l'impasse de la jeunesse Le dernier roman de Nicolas Mathieu, Leurs enfants après eux, raconte l'histoire de deux adolescents, Antony et Hacine, vivant à Heillange, une ancienne région industrielle de l'est de...

Une plongée dans l'impasse de la jeunesse

Le dernier roman de Nicolas Mathieu, Leurs enfants après eux, raconte l'histoire de deux adolescents, Antony et Hacine, vivant à Heillange, une ancienne région industrielle de l'est de la France. Récompensé par le prix Goncourt, cet ouvrage met en lumière la frustration et l'impuissance qui frappent une partie de la société face à un monde moderne qui les promet à l'inaction.

L'adolescence sans espoir

L'adolescence est généralement synonyme d'espérance, mais pour Antony et Hacine, ce n'est pas le cas. Le livre ne laisse aucune illusion quant à la possibilité de vivre mieux, de désirer davantage et surtout de sortir de leur milieu d'origine. Les vacances s'étirent sans fin, sans projet. Faire de la moto, boire, aller à une fête, draguer... Le vide des vies décrites rend cette lecture angoissante. Les personnages semblent perdus, incapables de connaissance et d'action.

Le point de vue narratif interne souligne davantage le vide, car les pensées des personnages sont uniquement descriptives. Le lecteur ne perçoit aucune émotion, comme si Antony était détaché de sa propre vie. Cette impuissance semble universelle, et même en grandissant, elle ne change rien. Le roman expose l'immobilité d'une période que certains ont réussi à surmonter, mais qui laisse les autres dans un état d'inaction permanent.

Une société sans espoir

La vision sans espoir de Nicolas Mathieu n'épargne personne. Rien ne peut venir les sauver, pas même la culture ou l'élévation d'esprit, inutiles dans un monde où les mécanismes nous dépassent. Le choix de se concentrer sur les étés met en évidence l'impact limité de l'éducation sur Antony et Hacine : l'égalité des chances est un mythe. Les déshérités n'ont pas la force d'agir, et l'ennui adolescent est d'une violence absolue.

Si les lecteurs peuvent se sentir soulagés de ne pas partager le même destin social qu'Antony et Hacine, ils risquent de se reconnaître dans cette description sans concession de la société moderne. Rien ne peut les sauver de leur triste sort, seul l'espoir géographique reste une lueur pour les privilégiés.

L'absence de transcendance

L'absence de possibilités extérieures est accompagnée d'un cruel manque de vie intérieure. Aucun personnage ne réfléchit sur le sens moral de ses actions, ne s'analyse, ne rêve. La transcendance semble avoir déserté ces êtres. Dans la société décrite par Nicolas Matthieu, la transcendance a disparu. La disparition du christianisme ne ressemble en rien à une libération, mais plutôt à une perte de repères. La culture d'Anthony ne lui offre aucune clé pour comprendre les signes qui l'entourent. Il est perdu dans cet espace et y reste rivé.

Le désir sexuel

Le seul élan qui anime ces adolescents sans but ni destin est le désir sexuel. Dans ce monde d'immanence, rien d'autre ne peut les mettre en tension. Le désir sexuel donne une direction au temps, et les moments de plaisir sont décrits avec une certaine grâce. Mais une fois l'attente comblée, le vide reprend sa place, encore plus grand qu'auparavant. Le monde redevient dénué de sens et sans transcendance. Les descriptions crues des relations sexuelles mettent en évidence le manque d'amour, d'intimité et de pudeur chez les personnages.

Des relations genrées

La découverte de la sexualité permet également de mettre en lumière les rôles sociaux attribués aux hommes et aux femmes. Les filles sont perçues comme une espèce étrangère, incompréhensible et essentiellement différente. Les garçons ne voient les filles que sous un prisme sexuel. Les relations entre les sexes sont dénuées de questionnement moral et les personnages féminins manquent de profondeur et de réalisme. Les rôles genrés et l'éthique de la sexualité sont peu interrogés, ce qui est dommage car ces questions sont présentes dans d'autres domaines de la société.

Des couples dysfonctionnels et peu d'amitié

Les couples dans le roman sont marqués par la désillusion et la brutalité. Les mères se sacrifient pour leurs enfants, tandis que les pères sont brutaux et solitaires. L'amitié est rarement présente, et les amitiés qui existent sont prêtes à se déliter avec le temps et la distance. Il n'y a pas de véritable amitié choisie, tout comme il n'y a pas de choix dans d'autres aspects de la vie.

Une écriture réaliste et incarnée

L'écriture de Nicolas Mathieu est réaliste et met en lumière les détails qui donnent au récit une grande authenticité. Les dialogues sont simples et naturels, et les scènes sont décrites avec précision. L'art du flou permet de rendre compte de l'étirement du temps en été. La finesse de l'écriture révèle le réalisme des personnages et des situations, sans tomber dans le cynisme excessif.

Un regard lucide sur la société

Nicolas Mathieu offre une vision lucide de la société contemporaine, sans pour autant sombrer dans le désespoir total. La fin du roman est presque douce, offrant une pause dans la brutalité omniprésente. Antony retrouve un sentiment d'appartenance et une certaine douceur dans un moment de pause. Cette nuance est l'une des forces de Leurs enfants après eux.

Source: Zone Critique

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